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« L’AUTONOMIE | Page d'accueil | Communiqué du 25 septembre »

24/09/2008

LES ÉTATS FÉDÉRAUX

DANS LE MONDE

 

Une présentation des États qui relèvent du fédéralisme comme mode de gouvernement moderne est une entreprise délicate. On ne peut pas se contenter d’énumérer les Etats qui se proclament, quelquefois à tort, fédéraux. Il faut, au préalable, définir les principes, juridiques et politiques, qui permettent de distinguer ce type d’État des autres, en particulier des Etats unitaires, que ces derniers soient centralisés, selon le modèle jacobin français, ou décentralisés.

De nombreuses expériences historiques

L’origine du fédéralisme est ancienne. Elle remonte à l’antiquité gréco-latine où sont apparues des Ligues entre des cités indépendantes qui réduisaient, par des traités librement négociés, leur souveraineté respective dans certaines matières – le commerce, la défense – au bénéfice d’institutions communes. Ce furent les premières Confédérations qui connurent, en général, des existences éphémères, à défaut d’un lien suffisamment fort entre les cités.

Avec la révolution américaine et la création des États-Unis en 1787, un pas décisif est franchi dans l’histoire du fédéralisme. Une expérience politique originale voit le jour. Treize États devenus indépendants se fédèrent en se dotant d’institutions communes tout en conservant leurs propres institutions. Une société nouvelle se met en place. Elle se compose non pas d’États, comme dans les confédérations anciennes, mais de citoyens qui ont la particularité d’appartenir, en même temps, à l’une des treize sociétés étatiques et à la société fédérale née de leur addition, et de relever ainsi de deux États, d’un des treize États et de l’État fédéral, sous une Constitution commune.

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Ce nouveau mode de gouvernement permet d’agréger dans un même ensemble constitutionnel les diversités composant une société qui peuvent être d’ordre national (la province de Québec au Canada, la Catalogne en Espagne) ou d’ordre linguistique, religieux, culturel (les cantons suisses) ou simplement le produit de traditions historiques, politiques propres (les États américains) et qui bénéficient d’une autonomie politique pour préserver et développer ces singularités.

De son côté l’État fédéral est doté des moyens nécessaires pour assurer une union politique et économique, avec la création d’une monnaie commune, le développement des échanges et du commerce, la mise en place de symboles nationaux, et garantir l’indépendance du pays avec l’instauration d’une armée, d’une défense et d’une diplomatie sur la scène internationale.

Les principes du fédéralisme

Dans cette perspective nouvelle, pour qu’un État mérite le qualificatif de fédéral, il faut que sa Constitution contienne quatre principes :

l/ Le principe de séparation dont l’application répartit les compétences législatives entre le gouvernement fédéral et les gouvernements fédérés en distinguant les matières de législation qui ont une importance nationale de celles qui ont une dimension régionale et locale.

2/ Le principe d’autonomie politique qui permet à chaque ordre de gouvernement d’être seul responsable de son domaine de compétence. Il en découle qu’aucun contrôle hiérarchique, aucun droit de tutelle ne peut être exercé par le gouvernement fédéral.

3/ Le principe de participation en vertu duquel les sociétés fédérées sont représentées dans les institutions fédérales, le plus souvent sous la forme d’une deuxième assemblée législative comme le Sénat aux Etats-Unis ou le Bundesrat en Allemagne, et participent ainsi à l’adoption des lois fédérales qui engagent l’ensemble de la société.

4/ Enfin l’existence d’un tribunal indépendant, gardien de la Constitution est un moyen juridique pour faire respecter par les autorités politiques les principes précédents et en particulier d’annuler les décisions contraires à la séparation et à l’autonomie.

Un État qui respecte ces principes constitutionnels peut être qualifié de fédéral et il fait partie de la catégorie que les juristes dénomment les fédérations. Les Etats-Unis d’Amérique furent la première fédération et ce modèle servit de référence – en l’adoptant, le modifiant, ou le transformant - à d’autres fédérations à travers le monde. Mais, ce nouveau mode de gouvernement a été conçu à la fin du XVIIIe siècle, à une époque où les Etats intervenaient peu, sinon pour garantir l’ordre public. Il a dû affronter les défis du XIXe siècle, avec l’industrialisation, puis ceux de notre époque.

Une gestion conjointe ou séparée des affaires publiques

À l’origine, l’application des principes élaborés par les constituants américains, a donné naissance à une gestion séparée et unilatérale des affaires publiques : l’enseignement scolaire et universitaire, le bien-être social, l’exploitation des ressources naturelles relevaient exclusivement des gouvernements fédérés, tandis que les échanges, le développement du commerce et de l’industrie, la monnaie et les douanes faisaient partie des compétences fédérales.

Cette gestion séparée pouvait être une source de conflit entre les gouvernements mais aussi une entrave dans la recherche de politiques répondant à des aspirations ou des défis communs : la lutte contre la récession économique des années 1930, la participation à la Seconde Guerre mondiale, puis la recherche de la stabilité, du bien-être social et des promesses de l’Etat-providence ou, de nos jours, la protection de l’environnement, la réalisation des conditions pour une libéralisation des échanges.

Répondre avec efficacité à ces défis et à ces contraintes dépassaient les possibilités d’intervention d’un seul ordre de gouvernement, fédéral ou fédéré. Pour cette raison, des mécanismes ont été conçus et mis en place pour réaliser dans les fédérations, à côté d’une gestion séparée, une gestion conjointe des affaires publiques. Cette gestion conjointe relève d’institutions et de décisions intergouvernementales qui permettent une coopération entre tous les gouvernements et une coordination de leurs politiques respectives en fonction d’objectifs, de programmes, de financements croisés, élaborés en commun. C’est ce que l’on nomme le fédéralisme coopératif ou intergouvernemental, dont l’importance fluctue avec la conjoncture : la gestion conjointe était plus étendue à l’époque des réalisations de l’Etat-providence qu’à celle du néo-libéralisme et du recul des interventions étatiques. Dualité des ordres de gouvernement, séparation de leurs compétences respectives, autonomie de leur gestion mais aussi coopération et coordination de leurs politiques pour répondre à des intérêts communs, tel se présente le modèle idéal du fédéralisme contemporain. Cependant, ce modèle peut faire l’objet d’applications diverses en réponse aux traditions historiques, politiques, juridiques propres à chaque pays qui s’en réclame. Toutefois, il apparaît que le fédéralisme va de pair avec la démocratie pluraliste. Ainsi, à l’époque des démocraties populaires, les principes fédéraux inscrits dans les Constitutions nationales de pays comme l’URSS ou la Tchécoslovaquie étaient appliqués par un parti unique se confondant avec l’Etat central. Derrière une façade juridique fédérale, une conception totalitaire des rapports entre l’État et la société avait libre cours, rendant illusoire toute autonomie... Il en allait de même dans certains pays où, après la décolonisation, régnaient des partis uniques et des dictatures dans des cadres juridiques fédéraux.

Les voies différentes du Fédéralisme

Cette limite étant posée, on estime qu’il existe plus de 25 fédérations dans toutes les aires géographiques, et qu’elles encadrent plus de 40 % de la population mondiale. Les axes de développement ont épousé des voies différentes. Tout d’abord, à la suite de la révolution américaine, le fédéralisme s’est propagé à des sociétés qui avaient des caractéristiques proches de celles des États-Unis, comme la Suisse (1848), le Canada (1867), l’Australie (1901), l’Autriche (1920), l’Allemagne (1949). Dans ces sociétés, à la fois démocratiques et industrielles, le fédéralisme permettait de protéger la démocratie locale préexistant à l’apparition de l’Etat fédéral et la mise en place d’un espace économique commun. Ensuite, le fédéralisme s’est étendu au sud des États-Unis, au Mexique (1824), au Brésil (1946), au Venezuela (1947), en Argentine (1949), pour concilier sur de vastes territoires autonomie et unité. À la fin de la colonisation, le fédéralisme devait permettre la cohabitation pacifique d’ethnies, de religions, de langues, de races différentes dans un même ensemble. Par exemple aux Indes (1950), en Malaisie (1963), au Pakistan (1956), au Nigeria (1954) avec des fortunes diverses et des réussites temporaires. Plus récemment, après l’apartheid, l’Afrique du Sud s’est dotée en 1996 d’une Constitution fédérale.

De même, à la fin du communisme, de nouveaux pays comme la fédération Russe tentent de concilier une démocratisation des institutions avec l’instauration d’une économie de marché.

Enfin, il convient de prendre en compte, dans ce tableau d’ensemble, les expériences récentes de l’Espagne et de la Belgique. On assiste, en effet, dans ces deux pays, ainsi qu’en Italie dans une moindre mesure, à une crise du modèle unitaire de l’Etat conçu selon le modèle français. Le modèle unitaire ne permettait pas de concilier l’unité et les diversités représentées par les nationalités historiques de la Catalogne, du Pays Basque, de la Galicie en Espagne, et par les communautés linguistiques, flamande, francophone et germanophone en Belgique. Le retour de la démocratie en Espagne en 1978 s’est accompagné d’une organisation quasi fédérale de l’Etat appelée Etat des autonomies qui associe les trois communautés nationales et quatorze autres communautés territoriales autonomes. La Belgique, de son côté, a connu une transformation progressive de ses institutions unitaires à partir de 1970 avant de franchir le pas en 1993 avec l’instauration d’un fédéralisme associant trois régions (Flandres, Wallonie, Bruxelles capitale) et les trois communautés linguistiques. La crise italienne, avec l’apparition de la

Ligue du Nord favorable à la sécession de la Padanie (les régions autour du Pô), a favorisé une prise de conscience et une réflexion sur une réforme fédérale future qui interpelle tous les partis politiques. Dans la même perspective, on peut considérer les réformes de dévolution en faveur de l’Écosse et du Pays de Galles en 1997 et de l’Irlande du Nord en 1998 comme une voie originale pour fédéraliser les institutions du Royaume-Uni.

Une réponse aux contradictions de la mondialisation

À côté de ces expériences nationales, il existe, aussi, un processus de fédéralisation des États nations au sein d’ensembles régionaux à caractère supranational. C’est une réponse, à la fois démocratique et pacifique, aux contradictions de l’époque de la mondialisation : d’une part nous avons un univers économique en voie d’intégration sous l’impulsion de la libéralisation des échanges, d’un marché élargi, et de la révolution technologique de l’information et de la communication, d’autre part, un univers politique fragmenté en plus de 200 États souverains.

Face à une économie qui s’unifie et se globalise, aucun État ne peut agir isolément pour maîtriser et orienter le développement harmonieux du nouveau marché.

Ce sont pour ces raisons, et d’autres propres à chaque contexte (la paix entre les pays européens par exemple), que des accords à caractère fédéral ont vu le jour sur des bases régionales élargies : dans l’Europe communautaire, entre le Canada, les États-Unis et le Mexique dans le cadre de l’ALENA, dans l’Asie du Sud-Est, en Amérique du Sud avec le Mercosur.

Ces accords instaurent des souverainetés partagées dans un certain nombre de matières pour assurer la prospérité de tous et apporter une réponse commune aux conditions nouvelles de la concurrence internationale en matière de production, d’échanges, de monnaie, de protection de l’environnement, d’aides sociales. Dans le cas de l’Europe communautaire, les traités entre les quinze États (à l’époque où l’article avait été publié ; 27 États aujourd’hui – NDLR) ont une valeur constitutionnelle. Ils instaurent une répartition des compétences avec les Etats membres, un droit communautaire et des politiques d’ensemble, un début de citoyenneté reflet d’une identité nouvelle compatible avec l’existence des identités nationales existantes. Pour autant, le processus de fédéralisation n’est pas achevé puisqu’il n’existe pas encore un gouvernement européen, séparé et distinct des gouvernements des Etats membres, bénéficiant d’une légitimité démocratique propre, et représentant l’ensemble communautaire sur la scène internationale.

On avait coutume de dire, il y a peu, que dans les relations internationales les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Désormais on peut préciser qu’ils ont aussi des partenaires avec lesquels ils s’associent librement pour répondre à la fois aux intérêts nationaux de chacun d’eux et à leurs intérêts communs. Comme dans le cadre des fédérations à l’époque du fédéralisme coopératif, à côté des gestions nationales séparées se met en place une gestion conjointe, reposant sur des décisions intergouvernementales.

En fin de compte, on peut conclure en disant que ce double mouvement de fédéralisation, interne et international, est une caractéristique essentielle de cette fin du XXe siècle. C’est une réponse possible pour résoudre, à l’échelle mondiale, les problèmes qui se posaient auparavant dans un cadre étatique limité : assurer la paix entre des communautés nationales différentes, rechercher d’une manière démocratique, dans le respect de leur autonomie, des solutions communes aux défis de notre temps.

 

Maurice Croisat

Les Études du mouvement Européen

Octobre 1998